dimanche 25 janvier 2015

Question - questionnement

Se questionner ... dans nos vies modernes, il me semble que c'est une activité en voie de disparition, un peu comme l'ennui, le silence et le vide. Presque tous nos instants de vie sont pleins (travail, loisirs, soucis, désirs), et s'ils ne le sont pas, nous nous employons immédiatement à y remédier : SMS, mail, smartphone ou magazine ...
Il me semble que cet excès de "plein" est une des causes de notre difficulté croissante à nous questionner, à reconnaître ce que nous ne savons pas et nous nourrir d'interaction avec l'autre.
J'observe que nous sommes de plus en plus prompts à expliquer, donner notre avis, commenter - alors que nous vivons comme une faiblesse le fait de ne pas savoir, demander l'avis de l'autre ou poser une question ; peur de perdre l'ascendant, de donner de l'importance à l'autre ... Conséquence inévitable : à force de fuir le questionnement, n'en perdons nous pas la capacité ?

Lors de la conférence d'Edgar Morin cette semaine au MUCEM et à travers ses écrits, j'ai été frappée par sa capacité à s'interroger et à interroger (les hommes, le monde, les idées). C'est également un sentiment fort qui me reste de Maître Tamura, comme si la richesse du questionnement allait de paire avec la profondeur de la recherche.

"Nous sommes lucides. Nous avons remplacé le dialogue par le communiqué."

Albert Camus. La chute. 

Edgar Morin - Enseigner à vivre

"Ce n'est pas le bonheur qu'il faut chercher. Plus on le cherche plus il fuit. Il faut chercher l'art de vivre, qui donne en prime de grands et petits bonheurs.
Ce qui doit être sauvegardé de la sagesse, c'est éviter la bassesse, de céder à des pulsions vengeresses, punitives. Cela suppose beaucoup d'auto-examen, d'autocritique, d'acceptation de la critique d'autrui."

E. Morin - Enseigner à vivre (p. 29)

jeudi 22 janvier 2015

Faouzi Skali


Faouzi Skali est Maître Soufi.

La vérité, il l'a cherchée vainement dans les mathématiques et les sciences humaines. Ses racines religieuses, son identité, il les a trouvées en fait à Paris.
Maître Soufi, il perpétue une très vieille tradition familiale marocaine, qu'il a découverte au bout de ses études. Docteur en anthropologie, ce père de famille est directeur du festival des musiques sacrées de Fès. Un lieu splendide de rencontre pour les musiciens de tous pays et de toutes religions. Ce festival de plus en plus couru est, pour Faouzi Skali, une façon de réaliser son enseignement soufi. Cette spiritualité au coeur de l'islam a la "religion" de l'écoute et de la tolérance.

La vérité, vous avez tenté de la trouver aussi chez l'homme, après l'avoir cherchée vainement dans les mathématiques ? 
J'ai découvert que l'anthropologie, comme les mathématiques, était un savoir certes respectable, mais insuffisant, car elle ne pouvait transformer l'être. L'un des textes qui m'a le plus touché à l'époque, c'est le livre de la voie et des vertus de Lao Tseu. Quand je lisais ces phrases limpides, dont je ne comprenais pas tout le sens, j'ai eu la certitude que pour le découvrir, il fallait soi même l'éprouver, le vivre. Je me suis aussi intéressé au bouddhisme. 
Pourquoi ce passage par les sagesses d'Extrême-Orient ?
Parce qu'elles expriment un dépouillement qui nous ramène à l'essentiel, à l'universel. La religion prise comme simple héritage culturel pouvait être un voile. 
Car la proximité peut aveugler ? 
Oui. Et l'on finit par pratiquer par réflexe. Ce détour est justement profitable. En Occident, j'ai pris conscience, par exemple, que dans la langue arabe, le mot Dieu revient constamment. Cette présence de la transcendance dans la vie courante est comme une respiration permanente. J'ai ressenti alors loin de chez moi un manque.

Extrait d'un entretien paru dans La Vie, numéro 2896, 1er mars 2001

mercredi 21 janvier 2015

Conférence d'Edgar Morin au Mucem

"Le JE au sein du NOUS est quelque chose qui épanouit".

Des années 60 à aujourd'hui, "on est passés de la promesse du bonheur à la problématique du bonheur".

Edgar Morin

dimanche 18 janvier 2015

Très profonde « Lettre ouverte au monde musulman » du philosophe musulman Abdennour Bidar


Un point de vue à la fois interne, subtil, bienveillant et précis.
Il me semble important de l'entendre.

Très profonde « Lettre ouverte au monde musulman » du philosophe musulman Abdennour Bidar

Liberté d'expression ... quelques réflexions

Devant le choc de ce 7 janvier 2015 et au moment de proposer une discussion à des étudiants, je me suis moi-même interrogée. Mais au fait, liberté d'expression, liberté de la presse, liberté de penser. Pourquoi ? Comment ? Depuis quand ?
Je réalise que ces valeurs sont devenues si évidentes pour nous que nous n'avons plus le sens de leur prix, de leur importance, ni de leur fragilité.
Et pourtant, comment ai-je pu fermer ainsi les yeux sur tout cela, alors que de la Tunisie à la Chine en passant par l'Inde, j'ai pu constater par moi-même, les ravages provoqués par leur absence.

Ci-dessous, les quelques notes qui m'ont aidée à me préparer à la discussion avec les étudiants - et qui ont peut-être un peu contribué à ce que nous sortions tous satisfaits d'avoir pu échanger et nous ouvrir au regard de l'autre (qu'il soit présent dans l'assemblée ou illustre penseur inspirant).

Liberté d'expression : quelques lueurs d'histoire et de philosophie


En attaquant Charlie Hebdo, ce n'est pas seulement un quotidien qui est pris pour cible, c'est aussi un symbole :
La liberté d'expression fût exprimée pour la première fois en tant que telle en 1789, avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen issue de la révolution Française.

Pourquoi est-ce si important ? Pourquoi liberté d'expression, de la presse et de penser sont-elles aussi indissociables ?

La liberté d'expression nécessaire à la liberté de penser
Certes, on dit : la liberté de parler, ou d'écrire peut nous être retirée par un pouvoir supérieur mais absolument pas celle de penser. Toutefois, quelles seraient l'ampleur et la justesse de notre pensée, si nous ne pensions pas en quelque sorte en communauté avec d'autres à qui nous communiquerions nos pensées et qui nous communiqueraient les leurs ! On peut donc dire que ce pouvoir extérieur qui dérobe aux hommes la liberté de communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser.
Kant

Je ne suis pas d'accord avec vos idées, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer.
Voltaire

Je pense encore à Georges Orwell, qui dans 1984, imagine un monde dans lequel Big Brother, le dictateur qui voit tout et surveille tout le monde, détruit progressivement le langage et réécrit l'histoire pour pouvoir contrôler la pensée (devenue vide faute de support).

La liberté, d'après le petit Larousse, c'est le pouvoir de faire ce que bon nous semble sans intervention extérieure brimant notre volonté.

Notre culture et la culture occidentale contemporaine trouvent leurs racines dans la liberté d'opinion qui a été sacralisée pour les philosophes des lumières.

En France, la liberté d'expression est une tradition laïque, républicaine et démocratique, d'une certaine manière un baromètre de la santé de la société :

  • La liberté d'opinion et d'expression a commencé à émerger au XVIIème siècle (jusque là, elle était réservée à des élites notables ou religieuses).
  • Son émergence va de pair avec la distinction : délit - pécher.
  • La liberté d'expression devient un Droit lors de la Révolution Française, en 1789 (à travers la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen).
  • Mais dès 1796, le régime de la Terreur, puis l'Empire et la Restauration conduisent à une nouvelle régression. A la fin de l'Empire, il ne reste que 2 journaux.
  • Avec la IIIème République, Jules Ferry rétablit la liberté d'expression à travers la loi du 29 juillet 1881 (qui sert toujours de fondement à notre Droit actuel).
  • La Seconde Guerre Mondiale conduit sans surprise à la censure et à une restriction forte de la liberté d'expression.
  • Et la Libération restaurera la presse libre.

En conclusion, la liberté d'opinion et d'expression sont des valeurs fondamentales sur lesquelles se réunit l'Occident.

Limites de la liberté d'expression

Nos sociétés démocratiques reposent sur une invention fondamentale : celle de la Justice, qui date de l'antiquité :
Là où il y a une société, il y a du Droit.
Adage Romain

C'est une invention capitale : celle de la tierce partie. La Justice, observateur externe et objectif permet de régler le conflit ; alors que la confrontation entre protagonistes (le célèbre oeil pour oeil, dent pour dent) ne peut s'extirper de la subjectivité et de l'émotion.

Les limites de la liberté d'expression sont donc garanties par la Justice et la Loi ; celle-ci interdit :

  • la diffamation (tenir des propos portant atteinte à l'honneur d'une personne physique ou morale),
  • la calomnie,
  • l'incitation à la haine, au meurtre et les troubles à l'ordre public.

Mais il est fondamental que ces limites soient définies et garanties par la Loi, car la critique et l'humour sont des outils précieux, bien différents du jugement, de la diffamation et de la calomnie. 
Le sens critique, la contradiction, le débat, l'humour sont nécessaires à la réflexion, l'analyse, l'ouverture, la prise de distance et l'introspection.

Liberté d'expression, contradiction et Science

J'ajouterai que la critique, la contradiction, le questionnement sont les fondements mêmes d'une approche scientifique. 
Sans eux, le soleil tournerait toujours autour de la terre (pour plaire à l'Eglise) et Darwin et sa théorie de l'évolution seraient restés dans les cartons, laissant le champ libre aux différents mythes religieux fondateurs.

Liberté d'expression dans le monde

Le rapport de Reporters Sans Frontières me semble éloquent quant à l'état mondial de la liberté de la presse :


Et la carte suivante en constitue une bonne introduction :