mardi 24 novembre 2015

13 novembre 2015 - et suite ...

J'ai pris le temps d'échanger avec les vivants avant de revenir vers les virtuels, et celui du recul avant de réagir. Comme beaucoup, je suis atterrée et révoltée par une telle débauche de barbarie ... 130 vies interrompues et combien de familles, amis, amants privées d'une partie d'eux-mêmes ?
Mais ce qui me révolte le plus est peut-être que, cette fois, plus encore qu'en janvier dernier, il ne s'agit pas d'une action extérieure, d'un commando étranger qui serait venu attaquer nos valeurs et notre culture. Non, il s'agit d'une partie de nous-même, un gâchis engendrant un gâchis plus grand encore.
Me reviennent les mots d'Edgar Morin :
La peur de comprendre fait partie de l'incompréhension. Comprendre : ce mot fait aussitôt sursauter ceux qui ont peur de comprendre de peur d'excuser. Ceux qui refusent de comprendre condamnent la compréhension parce qu'elle empêcherait la condamnation. Donc il faudrait ne vouloir rien comprendre, comme si la compréhension comportait un vice horrible, celui de conduire à la faiblesse, à l'abdication. Cet argument obscurantiste règne encore dans notre intelligentsia par ailleurs raffinée. (1)
Les assassins de ce vendredi sont des nôtres et rien n'excuse leurs actes. Mais il me semble important de regarder en face leur parcours pour en tirer des espoirs de solutions - ou au moins de travail. DAECH est responsable des milliers de migrants qui fuient la Syrie. Mais pour ce qui est des attentats du 13 novembre ... n'ont-ils pas plutôt été un prétexte ? Ces terroristes ne me semblent pas beaucoup plus musulmans que moi-même ... Par contre, en carence de culture, sans but ni espoir, mis à l'écart de notre société (à laquelle d'ailleurs ils le rendent bien), immergés dans notre système de valeurs où l'homme est jugé par son identité socio-professionnelle et son paraître, n'ont-ils pas trouvé dans la radicalisation et ses chimères l'espoir et la raison d'être qu'ils recherchaient ? Compte-tenu de leur situation, l'espoir de devenir des héros, considérés, utiles, n'est-il pas le moteur de leur engagement ? (plus encore que des considérations religieuses ?). J'ai le sentiment que n'importe quelle organisation ou doctrine leur offrant des promesses similaires "ferait l'affaire".
Effectivement, cela n'excuse rien, mais il me semble d'autant plus urgent de nous mettre au travail et de développer la compréhension, l'empathie, la considération et donc le respect de l'autre. Qu'est-ce qui nous relie ? Que voulons-nous faire ensembles ? Si seulement toutes ces victimes pouvaient nous rappeler à ces questions et nous pousser à nous mettre au travail pour construire les réponses !

(1) Edgar Morin. Enseigner à vivre. Actes Sud.

vendredi 20 novembre 2015

Georges l'avait dit ...

Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eu
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain
Or, s'il est une chose amère, désolante
En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater
Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Les saint jean bouche d'or qui prêchent le martyre

Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas
Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire
C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas
Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté
"Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente"



Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

Encor s'il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât
Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes
Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez
Et c'est la mort, la mort toujours recommencée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente

O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente



Georges Brassens

jeudi 5 novembre 2015

La googlose ...

C'est en prenant soudain conscience des symptômes et des ravages de la googlose que "je sens sous ma plume un fourmillement familier".

Cours de Bac+4 dans une discipline mi-mathématique mi-informatique. Nous avons passé la matinée en cours théorique et c'est maintenant le moment d'assimiler, en programmant, les notions vue plus tôt. A plusieurs reprises, la même scène se répète : des étudiants m'appellent pour me demander de l'aide. Je me retrouve devant un programme ... qui ne marche pas et ne correspond pas à mon cours. Et curieusement, dans tous les cas, c'est toujours le même ...
J'essaye de comprendre ; les étudiants font mine de suivre mais je sens que leur souhait est que je corrige (et non que j'explique). Devant ma perplexité, ils me répondent que "ça vient d'internet" et me montrent une page référencée par Google ...

Derrière cette anecdote, il me soudain prendre conscience d'une maladie plus profonde : la googlose. Un de ses symptômes apparents me semble être que nous ne cherchons plus à comprendre, à apprendre et ainsi nous construire, mais nous voulons avoir la réponse (ce qui est très différent). Et ses effets secondaires : peur de poser une question (qui reviendrait, pensons-nous, à avouer que l'on ne sait pas, comme si c'était soudain devenu une infériorité que d'apprendre), peur de dire que l'on ne sait pas ou que l'on n'a pas compris.

A mon sens, la googlose gangrène la relation humaine. Que reste-t-il de la communication, de notre humanité partagée, de nos relations si chacun s'enferme dans une armure, affichant ses forces, ses certitudes, sa "gagne", tout en masquant ses faiblesses et ses doutes. Est-ce que derrière la googlose (la maladie de connaître la réponse sans comprendre ni apprendre), l'enjeu n'est pas celui d'accepter que ce qui nous relie, c'est aussi nos failles ? Et qu'elles ne sont pas des faiblesses mais font juste partie de notre complexité et donc de notre richesse.